mardi 5 mai 2020

Poème pour aller jusqu'au bout - 24

Bonjour

« Je tire à moi des phrases sombres mais éclatantes », écrit Dominique Sampiero. Écrire. Chercher à savoir d’où vient le poème. Et pourquoi / pour quoi le poème ? Nombreux·euses sont les poètes à tenter de définir leur démarche, à écrire sur l’écriture*. Mise en abyme du poème. Ainsi Françoise Ascal (On écrit dans la nuit, avec la nuit, contre la nuit) ; Claude Ber (l’encre devient voix, le visible audible pour que se puisse entendre au double sens d’ouïr et de comprendre ce que langue veut dire), etc. Chemin inverse de la pluie, qui nous mena d’Apollinaire à Sampiero, je remonte le temps et veux dire ANNA DE NOAILLES, par ce poème extrait de L’ombre des jours, 1902.

* en 1985, Libération posait la question à quelque 400 écrivains du monde entier : Pourquoi écrivez-vous ? Il serait intéressant que la même question soit posée aujourd’hui, 35 ans plus tard.

 

J’ÉCRIS POUR QUE LE JOUR…

J’écris pour que le jour où je ne serai plus
On sache comme l’air et le plaisir m’ont plu,
Et que mon livre porte à la foule future
Comme j’aimais la vie et l’heureuse Nature.

Attentive aux travaux des champs et des maisons,
J’ai marqué chaque jour la forme des saisons,
Parce que l’eau, la terre et la montante flamme
En nul endroit ne sont si belles qu’en mon âme !

J’ai dit ce que j’ai vu et ce que j’ai senti,
D’un cœur pour qui le vrai ne fut point trop hardi,
Et j’ai eu cette ardeur, par l’amour intimée,
Pour être, après la mort, parfois encore aimée,

Et qu’un jeune homme, alors, lisant ce que j’écris,
Sentant par moi son cœur ému, troublé, surpris,
Ayant tout oublié des épouses réelles,
M’accueille dans son âme et me préfère à elles…

Dans L’Ombre des jours, 1902

 
« Anna de Noailles aura élargi le lyrisme féminin, elle l’aura affranchi, en ayant fait éclater les frontières : sujet et style ». Maurice Pierre Boyé, extrait de Notes sur Anna de Noailles, in La Muse française, 1938.

Fille d’un prince roumain et d’une pianiste grecque, Anna Bibesco Bassaraba de Brancovan (1876-1933), devenue comtesse de Noailles par son mariage, est une figure majeure du Tout-Paris intellectuel et artistique du début du XXe siècle. Son premier recueil, Le Cœur innombrable (1901), est couronné par l’Académie Française. Elle publie par la suite neuf recueils de poèmes, ainsi que trois romans. Elle est la première femme commandeur de la Légion d'honneur ainsi que la première femme reçue à l'Académie royale de langue et de littérature française de Belgique. Elle crée en 1904 avec d’autres femmes (dont Judith Gautier et Julie Daudet), le prix La Vie heureuse avec un jury exclusivement féminin pour contrebalancer le prix Goncourt composé exclusivement d’hommes. En 1922, ce prix deviendra Le Prix Femina.

A demain

Jacques Fournier


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire