mardi 23 juin 2020

POÈME EN GUISE DE COMPTE À REBOURS #01

A pour ASCAL Françoise & ASCAL Bernard

Bonjour

Pour le dernier envoi de cette série, deux poètes que lie, entre autres liens visibles, la peinture.

Elle, chemine avec les peintres - Mark Rothko (Rouge Rothko, éd. Apogée, 2009), Alexandre Hollan (Si seulement, éd. Calligrammes, 2009), Marie Alloy (Noir-Racine, Al Manar, 2009), Gérard Titus-Carmel (Lignées, Æncrages & Co, 2012), Camille Corot (La Barque de l’aube, éd. Arléa, 2018), etc. Et ses écrits, poèmes et notes autobiographiques, nous amènent à nous approcher au plus près de nous-mêmes.

 

Je n’ai pas le culte de la nature. Encore moins celui d’un retour à… Simplement, j’en fais partie et ne peux m’en extraire. Elle n’est pas un décor. Elle m’englobe.

J’en connais la puissance redoutable, l’indifférence.

Je sais que notre humanité se construit contre ses lois, contre sa rigueur aveugle. Sortir de notre animalité « naturelle » est une longue conquête, jamais achevée.

Mais nier le lien revient à mutiler notre être. À faire de nous des errants, non pas de ces nomades riches d’un savoir, mais des égarés oublieux de leur origine.

 

Françoise Ascal, in Un Rêve de verticalité, éd. Apogée, 2011

 

Lui, est peintre (Le Cadre et le clou, Rhubarbe, 2011, rassemble ses notes d’atelier) mais aussi compositeur (cela me parut évident de finir, un 21 juin, avec un musicien), interprète (d’Aimé Césaire, de Pierre Mac Orlan, de Pablo Picasso, ainsi que de dizaines d’autres poètes), nouvelliste grinçant (L’Amateur de billes, Rhubarbe, 2020) et poète lucide.

 

J’arrache une touffe d’herbe

je bouscule une pierre avec mon pied

ou la roue de ma brouette

mille insectes fuient dans le plus grand désordre

un tremblement de terre

les affolerait moins

aucune conscience des proportions

chez ces scolopendres mille-pattes lombrics

ce n’est qu’un geste d’homme

 

Bernard AscalPas même le bruit initial, éd. Gros Textes, 2014

 

Ainsi se termine cette série de 26 envois comme autant de lettres dans notre alphabet.

Merci de votre patience.

Merci de vos messages d’encouragement à aller jusqu’au bout.

Merci de vos messages de remerciement qui confirment mon choix (mon besoin ?) d’aller jusqu’au bout.

Merci de vos lectures attentives.

Merci de l’écho que certain·es leur ont donné en les transmettant à leurs ami·es et contacts.

Merci de m’avoir informé que vous alliez commander tel ou tel recueil cité.

Merci aux poètes de se donner à lire.

 La poésie n’est, elle aussi, « qu’un geste d’homme » et « qu’un geste de femme » (dans le respect volontariste de l’alternance qui n’est pas jeu complaisant, mais nécessité).

Et si elle ne peut être tremblement de terre, elle peut, à tout le moins, nous faire vibrer.

Je n’attendrai certainement pas la prochaine crise sanitaire pour vous adresser ainsi poèmes et commentaires. Mais laissons passer l’été.

Qu’il vous soit, autant que faire se pourra, douceur, ressourcement, retour à la chaleur humaine et solaire.

 À Bientôt

Jacques Fournier

 PS : à votre demande, je peux vous transmettre le PDF de l’intégralité des Poèmes en guise de Compte à rebours.

samedi 20 juin 2020

POÈME EN GUISE DE COMPTE À REBOURS #02

B pour BER Claude

Bonjour

De La Mort n’est jamais comme (2004) à Il y a des choses que non (2017) en passant par Epître Langue Louve (2015) ou Titan Bonzaï et l’extrêmophile de la langue (2017), lire Claude Ber c’est entrer nu dans un fleuve de mots et se laisser entraîner jusqu’au delta, là où s’ouvre le paysage plus large d’une mer étale ou tumultueuse, selon ce qu’elle vient de nous dire.

Dites le poème à voix haute et laissez-vous porter par le courant.

 

Découpe 40

 

La bousculade des passants sous l’averse. L’eau qui s’effrite sur les carreaux de lunettes. La rue ondulant à leur loupe dans le frottis liquide des enseignes. Les visages se couvrent d’un pelage de pluie. Je m’épile à petits tapotements de l’index. Sous le velu des gouttes, des écailles. Au fond du cortex, des restes d’élytres et de mues. À mes pieds trempés, la rigole est un ruisseau. Je sais que ce n’est pas. Ils savent que c’est. D’une certitude d’épiderme pincé dans un froid de névé. Cette division aux fourches des dendrites : scissiparité de paramécie. Un souvenir cellulaire de multiples moi. Ce fut. Dans un temps archaïque et retranché. J’ai les chevilles au cœur. Un ébouriffement inconnu de poils dressés. Un sursaut animal au sourire qui découvre les crocs. À peine disent les lèvres passant la langue sur les babines. Et c’est, dans l’air soudain durci comme une dalle, un recroquevillement de fossile pris dans le cabochon des vitrines où le jaune des lampes cristallise en crapaud.

 

in La Mort n’est jamais comme, Via Valerino-Léo Scheer, 2004, Prix international de poésie francophone Yvan-Goll 2004 ; rééd. L’Amandier, 2013 ; Bruno Doucey, 2019

 

À bientôt

Jacques Fournier

jeudi 18 juin 2020

POÈME EN GUISE DE COMPTE À REBOURS #03

C pour CENDRARS Blaise

Bonjour

Impossible de ne pas saluer Blaise Cendrars (1887-1961) quand, comme nous, on habite à deux pas de la « petite maison dans les champs » qu’il occupa (occasionnellement) pendant vingt ans, où il écrivit l’intégralité de L’Or et quelques pages d’autres romans et quelques articles. C'est dans ce village du Tremblay-sur-Mauldre que se trouve aussi sa dernière demeure. Sur sa pierre tombale, le moule de sa « main amie », et Orion, « sa » constellation, son repère dans les « Nuits étoilées » dont il passe « la plus grande partie (…) sur le pont » du Formose qui l’emmène, en février 1924, pour un premier voyage au Brésil via Dakar.

 

COUCHERS DE SOLEIL

 

Tout le monde parle des couchers de soleil

Tous les voyageurs sont d’accord pour parler des couchers de soleil dans ces parages

Il y a plein de bouquins où l’on ne décrit que des couchers de soleil

Les couchers de soleil des tropiques

Oui c’est vrai c’est splendide

Mais je préfère de beaucoup les levers de soleil

L’aube

Je n’en rate pas une

Je suis toujours sur le pont

À poil

Et je suis toujours seul à les admirer

Mais je ne vais pas les décrire les aubes

Je vais les garder pour moi seul

 

In Feuilles de route, I. Le Formose, Avec 8 dessins de Tarsila do Amaral, Au Sans Pareil, 1924

rééd. in Poésies complètes, Denoël, 1944 ; in Du monde entier au cœur du monde, Denoël, 1957 ; Poésie/Gallimard NRF, 2006

 

À bientôt

Jacques Fournier

mardi 16 juin 2020

POÈME EN GUISE DE COMPTE À REBOURS #04

D pour DESCHAMPS Lucienne

Bonjour

 

DM5 – 2019

 

Ce long trajet

Métro

RER

Bus

Comme un sas

d’un monde à l’autre

Il y a encore des morceaux

du parcours

que je ne reconnais pas

à croire que l’itinéraire

a changé

à craindre que je me suis trompée

de bus

Le nom des arrêts

musique familière

 

Quelques arbres à l’arrêt

la forêt

à peine

un bouquet

 

À l’arrêt la treille

rien

pas une goutte

 

Sur le chemin du retour

je m’endors parfois

Une main me réveille

à l’arrivée

 

In Fleury l’été, éd. Le Temps des Cerises, 2020

NB : La DM5 est la ligne de bus qui dessert la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis

Chanteuse de poètes, comédienne, Lucienne Deschamps anime depuis des années des ateliers de chant, l'été, en prison. Poissy, Fresnes, Fleury. Premier recueil - une réussite. Présenté in extremis la veille du confinement, à Fontenay… le Fleury.

À demain

Jacques Fournier

lundi 15 juin 2020

POÈME EN GUISE DE COMPTE À REBOURS #05

E pour EMAZ Antoine

 Bonjour

Après le jardin du grand-père d’Estelle Fenzy, celui d’Antoine Emaz.

 

Il faut regarder longtemps une branche qui bouge un peu pour pouvoir écrire : la branche bouge un peu. Et que cela suffise.

Cela peut paraître simple, ça l’est.

Matin. Le soleil monte au-dessus de la lessive étendue.

A quelques pas, un trait de fumée part encore du feu du jardin, allumé hier.

Etre là, dans le jardin, sous les grands arbres.

Le feuillage, vu d’en-dessous, dans la lumière. Transparence, mouvement berçant les feuilles.

Beaucoup de choses et d’événements importants auxquels on ne fait pas attention.

Dans le jardin entouré de hauts murs.

 

Ext. de Poème au calme, in Deux poèmes, Tarabuste, 1987.

 

En 1993, premier contact avec la poésie d’Antoine Emaz (1955-2019), avec Peu importe, au Dé bleu. J’y retrouvais Guillevic, tant lu et relu. Depuis, le poète avait creusé son sillon, personnel, au plus proche du mot juste.

A demain

Jacques Fournier

dimanche 14 juin 2020

POÈME EN GUISE DE COMPTE À REBOURS #06

F pour FENZY Estelle

Bonjour

Écrire / Tenir ouverte / La bouche de l’enfance.

Ce court poème d’Estelle Fenzy extrait de La Minute bleue de l’aube (La Part commune, 2019) annonce Gueule noire, poème-récit à l’écriture fluide et simple d’une enfance en pays minier, auprès de Pépé silicosé, de Mémé Gaby, et de Man’za, qui « avait toujours été vieille ».

 

TES TROUPES

 

Le jardin

derrière la maison

s’étendait jusqu’à l'école

 

Un long bandeau

planté de rosiers

et de tous les légumes

de la création

 

Petit frère et moi

cavalions sur la voyette

pour t’y retrouver

débusquer les fraises

fureter sous les feuilles

trouver les chenilles

sur les fanes de carottes

 

Tu binais avec entrain

t’arrêtant seulement

pour t’essuyer le front

du revers de la main

 

Et pour encourager

tes troupes accroupies

dans l’odeur de la terre

leurs cruels petits pieds

à écraser les doryphores

 

in Gueule noire, éd. La Boucherie littéraire, 2019

  

À demain

Jacques Fournier

samedi 13 juin 2020

POÈME EN GUISE DE COMPTE À REBOURS #07

G pour GOORMA Jacques

Bonjour

 

TENTATIVE XC

 

dire enfin la parole

qui attend depuis si longtemps

 

comme le génie

dans sa bouteille

 

dire enfin la parole

qui arrêtera et fera vivre le temps

 

In Tentatives, éd. Les Lieux-dits, 2017

 

Lire Jacques Goorma, c’est participer à ses tentatives, qu’elles soient de définition, de description ou de captationde ce qui constitue l’humainen une poésie qui certes, ainsi que l’écrit Philippe Habans* « est une poésie presque froide (comme la beauté est parfois froide) et qui nous traverse comme un épieu de glace » mais « qui agit en même temps sur notre intelligence » et qui compose, selon Muriel Stuckel** « une chorégra­phie épu­rée, aérienne, à même de faire dan­ser les mots autour du silence ».

* www.recoursaupoeme.fr/jacques-goorma-tentatives/

** www.recoursaupoeme.fr/jacques-goorma-une-po-ethique-du-depouillement-lumineux/

 

A demain

Jacques Fournier

jeudi 11 juin 2020

POÈME EN GUISE DE COMPTE À REBOURS #08

H pour HUYNH Sabine

Bonjour

La remise, en mai 2017, à la Factorie – Maison de la Poésie Normandie, du Prix CoPo à Sabine Huynh fut l’occasion d’une de ces rencontres rares qui vous marquent pour quelque temps. Le premier choc eut lieu quelques mois plus tôt par la lecture de Kvar lo, ce beau recueil au titre étrange, un livre tendre et dur, fort et douloureux, sur la perte et la quête de la langue, de sa langue devenue muette, d’une langue à se réapproprier.

 

Réapprendre la langue

égarée, se noyer

dans le fleuve originel

de la colère, graver

le roc à dents nues

toujours muette

 

la langue obscurcie

refuse les retrouvailles

au retour résiste

et fugue

ne te laisse pas

la sauver

du rejet

 

In Kvar lo, éd. éd. Æncrages & Co, 2016, encres de Caroline François-Rubino

 

 A demain

Jacques Fournier

mercredi 10 juin 2020

POÈME EN GUISE DE COMPTE À REBOURS #09

Avant le poème, une information qui fait suite à l'envoi d'hier : j’ai appris (merci Lydia) que les éditions La Barque publieront le 3 juillet 2020 en un volume bilingue deux recueils d’Ingrid JONKER : De Fumée et d’ocre et Soleil incliné (ses deux derniers recueils) traduit de l’afrikaans. On trouvera le livre dans toute bonne librairie ou sur www.labarque.fr.

 

POÈME EN GUISE DE COMPTE À REBOURS #09

I pour IZOARD Jacques

Bonjour

 

LE SOUFFLEUR, LE DORMEUR

L'un coupe la verveine

ou saisit sabots et soleils.

Puis dort dans mon souffle.

Souffleur et dormeur sont en paix.

La phrase très pâle

à travers les barreaux.

L'herbe et la langue.

Et le jardin du lait

submerge mes guenilles.

L'autre nomme la truelle

ou le papier blanc des fées.

Le voici décousant l'oreiller.

Le voici tirant le fil de laine

des gencives, des genoux.

Les petits coups du cœur

ébranlaient la maison.

 

L'un, dans l'acajou,

conservait les voix mortes.

Le vide effrayait

les enfants des voleurs.

Et le clos du curare

protégeait de la lune

les voyeurs endormis.

 

L'autre avait trouvé

faux de papier doré,

bulles et billevesées.

Le voici quémandant

quelques baisers anciens.

Dans le corps du carabe,

je fourbis mes chemins.

 

in Vêtu, dévêtu, libre, Belfond, 1978

 

« Un grand du Verbe » pour le poète Roland Nadaus (cité sur www.paperblog.fr/users/spiritus/)

Le Liégeois Jacques Izoard (1936-2008), dont « la parole explose, prolifère, pulvérise ses limites pour mieux s’épanouir » (Vahé Godel, in La Tribune de Genève) fut aussi généreux que sa poésie : responsable de revues, organisateur pendant 30 ans des Nuits de la poésie de Liège, découvreur de poètes (Eugène Savitzkaya, Karel Logist, William Cliff, Ben Arès, etc…), inspirateur de l’École de Liège. Les éditions de la Différence ont publié son œuvre complète en trois volumes.

A (après-) demain

Jacques Fournier

mardi 9 juin 2020

POÈME EN GUISE DE COMPTE À REBOURS #10

J pour JONKER Ingrid

 

Bonjour

Beaucoup connaissent Ingrid Jonker pour un poème : Die Kind / L’enfant n’est pas mort, rendu célèbre le 24 mai 1994, Nelson Mandela le disant le jour de son investiture à la présidence devant le premier parlement sud-africain élu démocratiquement. J’ai fait le choix d’un autre texte.

 

OH DEMI-LUNE

 

La demi-lune est le disque du jour

qui flotte oublié là-haut dans le noir

mais ce soir je sens ton corps chaud me dire

Encore encore encore

 

Je m’ouvre telle une étoile entre tes hanches

ton corps m’a baptisée dans ton corps

jusqu’à loin sur le chemin de la nuit

Reviens reviens reviens

 

Son de tes yeux rythme de ton torse

blessure de tes mains de tes cuisses

oh soif de tes lèvres la nuit perce sa croûte

Oublie oublie oublie

 

In L’enfant n’est pas mort, trad. de l’africaans par Philippe Safavi, dessins Frédéric Boulleaux, Le Thé des écrivains et Zootrope films, 2012

 

La vie d’Ingrid Jonker (1933-1965) fut courte et tumultueuse, entre une mère décédée quand elle avait 11 ans, un père (auquel elle s’oppose) président de la commission de censure du parlement sud-africain, mariage, amants, écritures, voyages en Europe et état dépressif qui la conduit au suicide par noyade. Elle est considérée comme une voix importante de la lutte contre l’apartheid, au même titre qu’André Brink, Breyten Breytenbach, et de quelques autres, souvent membres du groupe die Sestigers.

Hormis cette fine plaquette de 44 pages proposant la traduction de 16 courts poèmes (dont Die Kind L’enfant n’est pas mort), aucune autre édition n’existe en français de ses poèmes, alors qu’elle publia de son vivant deux recueils (en 1956 et 1963), qu’elle reçut le Grand Prix des Libraires, la plus haute récompense qu’un auteur en langue afrikaans pouvait obtenir à l’époque. Elle écrivit aussi quelques nouvelles et une pièce de théâtre. Un documentaire (2007) et un film de fiction (2012) lui sont consacrés. « Je suppose qu’elle appartient maintenant à l’éternité. » écrivit André Brink, dans sa préface à Ingrid Jonker - Black Butterflies Selected poems, 2007 (ext. de la préface trad. par Gilles Boulenger).

 

À (après-) demain

Jacques Fournier

lundi 8 juin 2020

POÈME EN GUISE DE COMPTE À REBOURS #11

K pour KHLEBNIKOV Vélimir

 Bonjour

 

Ici j’ai erré enchanté

ici j’ai erré encerclé

par la meute des chiens du verbe à imprimer

ils rêvaient de becqueter ma hanche bleue

j’étais la seule fente

à travers laquelle l’avenir tombait

dans le seau de la Russie

Mon ivresse de moi-même

était une descente de gouttière pour le demain

pour le panier des larmes de demain

Au loin à la fenêtre des nuits se tenait personne

Ce qui m’a rongé et tourmenté – cela sera

Comme un chien sauvage

je cours sur le sentier sacré

parmi les géants des vieilles mers

en suivant les étoiles

éclairé par l’asile de nuit stellaire

Ô magnifiques bat-flancs noirs !

 

in Œuvres 1919-1922, trad. du russe par Yvan Mignot, éd. Verdier, 2017

 

« Car il faut (…) tendre vers un impossible, il faut dire, il faut « errer et chanter », - c’est selon lui la vocation du poète - et dire, en l’occurrence, c’est lancer des mots dans la mer du futur avec peut-être une chance, on ne sait, qu’ils éveillent un écho. »Ces propos du traducteur Yvan Mignot sur Vélimir Khlebnikov résument ce que furent la vie, l’œuvre et la mort du poète errant, qui fut de Villon « un peu le frère »** : initiateur du futurisme russe - mot qu’il n’employa jamais, mais il inventa « en bon troubadour, en poète qui trouve, un mot qui croise éveil et avenir, boudetlianin, qui nomme le citoyen du pays Ad-venir »; expérimentateur du langage ; soldat de l’Armée rouge ; élaborateur, avec Alexeï Kroutchenykh,  du zaoum, langue transmentale universelle ; utopiste persuadé du rôle primordial du poète pour éviter le chaos universel, Vélimir Khlebnikov meurt d’épuisement et de la gangrène en 1922. Il a 36 ans. Il fait partie, à l’instar de tant d’autres - nous l’avons déjà dit pour Tsvétaïeva - de la génération des perdants, « ceux qui en entrant dans les années de la révolution avaient déjà une forme, n’étaient plus de l’argile sans visage, mais n’étaient pas encore ossifiés, étaient encore capables de ressentir et de se transformer, encore capables de comprendre ce qui les entourait non pas dans sa statique, mais dans son devenir. »***

*sur https://poezibao.typepad.com/poezibao/2017/09/entretien-avec-yvan-mignot-par-liliane-giraudon-traduire-khlebnikov.html)

** Christian Mouze, https://www.en-attendant-nadeau.fr/2017/10/10/khlebnikov-reconnu/

*** Roman Jakobson, dans La génération qui a gaspillé ses poètes, 1931, in Questions de poétique, le Seuil, 1973 ; éd. Allia, 2001

 

À demain

Jacques Fournier

dimanche 7 juin 2020

POÈME EN GUISE DE COMPTE À REBOURS #12

L pour LOIZEAU Sophie

Bonjour

 

- Tu mets des miettes dans mon lit ! Va manger ta tartine ailleurs !

Elle essuie ses mains grasses sur son pyjama avant de me tendre un livre.

- Lis-moi !

- Je termine ça et je te lis.

Mon bras fait anse, elle se blottit à l’intérieur. Ses petites oreilles en velours cessent de se tourner vers d’autres sources. Le livre drague tout.

Dans une grande forêt habitait un pauvre bûcheron.

***

J’ai pris un pétale dans le courant d’air pour un papillon vivant. Sa palpitation, c’était suffisant pour y croire.

- Merci endroit ! Je quitte l’herbe écrasée sous moi. Les pâquerettes parviennent à se relever, cette action les accapare tout entières, les fait trembler. Les voilà presque remise de la foulure.

***

Je revisite sur le terrain les endroits où mon écriture est passée et je suis frappée de les reconnaître. Je suis frappée par la vérité qui s’en dégage.

La chose écrite fonctionne, sa coïncidence avec le réel ne fait pas un pli.

 

 Extraits de La chambre sous le saule, PURH, 2017

 

Un journal entre vie intime ; réflexions sur/pour l’écriture, ce geste vital (La nécessité d’écrire est plus forte. Même abrutie de sommeil je sens qu’elle est plus forte) autant qu’aimer et être aimée ; mots d’enfant créant un autre rapport aux mots et à la vie ; lien intime et solitaire aux éléments naturels (Écrire, c’est être seule et dans l’oubli de tout. (…) À moi, un bois me va, un coin de pelouse près d’un étang, une grève.) ; Nin-nin papa ; les fantômes « qui ne font pas autrement que d’apparaître à l’angle mot » de la chambre, …

Mais Sophie Loizeau, d’un livre à l’autre, c’est aussi une intimité forte à la langue (celle qu’elle s’invente et dans laquelle elle rend visible le féminin, principalement dans sa « trilogie de Diane » : La femme lit et Caudal, Flammarion ; Le Roman de Diane, Rehauts), aux corps, aux bêtes, des Environs du Bouc (L’Amandier, 2005, Prix Yvan-Goll 2005) aux Loups (Corti, 2019).

À demain

Jacques Fournier