lundi 8 juin 2020

POÈME EN GUISE DE COMPTE À REBOURS #11

K pour KHLEBNIKOV Vélimir

 Bonjour

 

Ici j’ai erré enchanté

ici j’ai erré encerclé

par la meute des chiens du verbe à imprimer

ils rêvaient de becqueter ma hanche bleue

j’étais la seule fente

à travers laquelle l’avenir tombait

dans le seau de la Russie

Mon ivresse de moi-même

était une descente de gouttière pour le demain

pour le panier des larmes de demain

Au loin à la fenêtre des nuits se tenait personne

Ce qui m’a rongé et tourmenté – cela sera

Comme un chien sauvage

je cours sur le sentier sacré

parmi les géants des vieilles mers

en suivant les étoiles

éclairé par l’asile de nuit stellaire

Ô magnifiques bat-flancs noirs !

 

in Œuvres 1919-1922, trad. du russe par Yvan Mignot, éd. Verdier, 2017

 

« Car il faut (…) tendre vers un impossible, il faut dire, il faut « errer et chanter », - c’est selon lui la vocation du poète - et dire, en l’occurrence, c’est lancer des mots dans la mer du futur avec peut-être une chance, on ne sait, qu’ils éveillent un écho. »Ces propos du traducteur Yvan Mignot sur Vélimir Khlebnikov résument ce que furent la vie, l’œuvre et la mort du poète errant, qui fut de Villon « un peu le frère »** : initiateur du futurisme russe - mot qu’il n’employa jamais, mais il inventa « en bon troubadour, en poète qui trouve, un mot qui croise éveil et avenir, boudetlianin, qui nomme le citoyen du pays Ad-venir »; expérimentateur du langage ; soldat de l’Armée rouge ; élaborateur, avec Alexeï Kroutchenykh,  du zaoum, langue transmentale universelle ; utopiste persuadé du rôle primordial du poète pour éviter le chaos universel, Vélimir Khlebnikov meurt d’épuisement et de la gangrène en 1922. Il a 36 ans. Il fait partie, à l’instar de tant d’autres - nous l’avons déjà dit pour Tsvétaïeva - de la génération des perdants, « ceux qui en entrant dans les années de la révolution avaient déjà une forme, n’étaient plus de l’argile sans visage, mais n’étaient pas encore ossifiés, étaient encore capables de ressentir et de se transformer, encore capables de comprendre ce qui les entourait non pas dans sa statique, mais dans son devenir. »***

*sur https://poezibao.typepad.com/poezibao/2017/09/entretien-avec-yvan-mignot-par-liliane-giraudon-traduire-khlebnikov.html)

** Christian Mouze, https://www.en-attendant-nadeau.fr/2017/10/10/khlebnikov-reconnu/

*** Roman Jakobson, dans La génération qui a gaspillé ses poètes, 1931, in Questions de poétique, le Seuil, 1973 ; éd. Allia, 2001

 

À demain

Jacques Fournier

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