K pour KHLEBNIKOV Vélimir
Bonjour
Ici j’ai erré enchanté
ici j’ai erré encerclé
par la meute des chiens du verbe à imprimer
ils rêvaient de becqueter ma hanche bleue
j’étais la seule fente
à travers laquelle l’avenir tombait
dans le seau de la Russie
Mon ivresse de moi-même
était une descente de gouttière pour le demain
pour le panier des larmes de demain
Au loin à la fenêtre des nuits se tenait personne
Ce qui m’a rongé et tourmenté – cela sera
Comme un chien sauvage
je cours sur le sentier sacré
parmi les géants des vieilles mers
en suivant les étoiles
éclairé par l’asile de nuit stellaire
Ô magnifiques bat-flancs noirs !
in Œuvres 1919-1922, trad. du russe par Yvan Mignot, éd. Verdier, 2017
« Car il faut (…) tendre vers un impossible, il faut dire, il faut « errer et chanter », - c’est selon lui la vocation du poète - et dire, en l’occurrence, c’est lancer des mots dans la mer du futur avec peut-être une chance, on ne sait, qu’ils éveillent un écho. »* Ces propos du traducteur Yvan Mignot sur Vélimir Khlebnikov résument ce que furent la vie, l’œuvre et la mort du poète errant, qui fut de Villon « un peu le frère »** : initiateur du futurisme russe - mot qu’il n’employa jamais, mais il inventa « en bon troubadour, en poète qui trouve, un mot qui croise éveil et avenir, boudetlianin, qui nomme le citoyen du pays Ad-venir »* ; expérimentateur du langage ; soldat de l’Armée rouge ; élaborateur, avec Alexeï Kroutchenykh, du zaoum, langue transmentale universelle ; utopiste persuadé du rôle primordial du poète pour éviter le chaos universel, Vélimir Khlebnikov meurt d’épuisement et de la gangrène en 1922. Il a 36 ans. Il fait partie, à l’instar de tant d’autres - nous l’avons déjà dit pour Tsvétaïeva - de la génération des perdants, « ceux qui en entrant dans les années de la révolution avaient déjà une forme, n’étaient plus de l’argile sans visage, mais n’étaient pas encore ossifiés, étaient encore capables de ressentir et de se transformer, encore capables de comprendre ce qui les entourait non pas dans sa statique, mais dans son devenir. »***
** Christian Mouze, https://www.en-attendant-nadeau.fr/2017/10/10/khlebnikov-reconnu/
*** Roman Jakobson, dans La génération qui a gaspillé ses poètes, 1931, in Questions de poétique, le Seuil, 1973 ; éd. Allia, 2001
À demain
Jacques Fournier
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