V pour VIELLE Laurence
Du Laurence Vielle, ça se lit, certes, mais surtout, ça s’écoute. Parce que Laurence Vielle, c’est une voix légèrement voilée d’un voile de douceur qui s’est posé, là, lentement, sur sa gorge, et donne à chaque texte qu’elle lit, les siens parfois et ceux des autres beaucoup, une dimension hors normes, obligeant à une autre écoute qui crée à chaque fois une découverte. C'est le pourquoi de la pièce jointe. Du Laurence Vielle, ça se lit et ça s'écoute, mais aussi ça se regarde. Parce que Laurence Vielle qui lit, c’est une énergie en perpétuel mouvement, un corps qui bouge, frôle le cœur, l’âme et le corps, c’est des jambes qui s’agitent et des pieds qui scandent, avancent et reculent, comme prenant élan, comme s’apprêtant à lancer le corps tout entier dans les bras de l’auditoire, mais que la pudeur retiendrait sur la scène. Laurence Vielle, c’est la retenue offerte.
OUF, livre+CD, avec le clarinettiste-complice Vincent Granger, éd. Maelström Reevolution, 2015, a reçu le Grand Prix de l’Académie Charles Cros 2015 et le Prix des Découvreurs 2017. Elle fut Poète nationale belge en 2016 et 2017.
Ma mère m’aérait tous les jours
Ma mère m’aérait tous les jours quand j’étais bébé tous les jours / un tour en poussette dans le quartier en poussette dans le jardin titour autour du lac tous les jours ma mère m’aérait tous les jours /
en été on s’aère à la campagne on s’aère à la montagne en été va jouer au jardin il fait beau va jouer dehors va prendre l’air elle me dit / à la campagne je roule sur l’herbe en regardant le ciel ça tourne ça tourne quand ça s’arrête je fixe le ciel toutes les formes du monde défilent dans les nuages je cours avec mon filet pour attraper les papillons je souffle sur les pissenlits et quand je roule à vélo l’air affole mes cheveux l’air aspire mon visage / quand je grandis quand je cours je suis essoufflée je n’arrive plus à prendre l’air je suis essoufflée /
quand je cours je cours moins vite que mes amis je cours moins vite je grandis trop vite je suis essoufflée /
quand je cours vite je grandis trop vite et j’ai le souffle court allez va prendre l’air dit ma mère va prendre l’air va prendre l’air /
elle ouvre la fenêtre de ma chambre tout grand le matin l’hiver il fait froid aère ta chambre dit la mère aère aère /
et le père l’air de rien ne revient pas souvent à la maison le père prend l’air /
la mère fait entrer le vent dans la maison la mère aère « aère aère » / la mère aspire les poussières range les affaires la mère ordonne l’air dans la maison la mère ordonne les fleurs au jardin la mère prend soin de l’air à la maison / le soir revient le père
plus un mot entre eux ne traverse l’air leur colère agite l’air de la maison et la fille prend l’air de l’air dans ses rêves la fille dort de plus en plus longtemps ne regarde plus les nuages ne regarde plus les poussières qui scintillent dans le noir ne souffle plus les pissenlits dans l’air la fille rêve / va prendre l’air va prendre l’air va prendre l’air dit la mère / la fille ferme sa porte bouche l’air avec ses musiques bouche l’air mère crie mets ta musique moins fort va prendre l’air range ta chambre sortez des maisons / les portes claquent clac clac ça claque à la maison ça claque à la maison / les portes claquent clac clac ça claque à la maison les portes claquent clac CLAC ça claque à la maison /
je m’en vais dehors je prends l’air dans ma bouche je le sors en paroles et clac et clac je remplis mes poumons d’air ma bouche remplit l’air des mots des poètes et clac et clac j’ai l’air heureuse avec les poètes /
un homme embrasse mes lèvres souffle dans ma bouche nos bouches se touchent / l’air de nos corps se love dans nos bouches qui se touchent nos corps se touchent / il n’y a plus d’air entre nos corps nos corps se touchent je respire fort / nos corps se touchent je respire fort fort / je respire fort je respire fort fort / il n’y a plus d’air entre nos corps je respire fort je respire fort / fort fort /
je cours à mon travail je cours pour mettre la maison en ordre je suis essoufflée je veux prendre l’air prendre l’air de l’air de l’air de l’air / j’aère la maison j’ouvre grand les fenêtres clac clac j’ouvre les fenêtres / dehors il fait froid mon enfant pleure / j’ouvre grand la maison j’aspire les fenêtres je fais le tour de l’enfant avec mon lac j’aère mes poussières j’ouvre les canards j’aère mes fenêtres j’aspire mon enfant / parfois il n’y a plus de corps entre nos airs parfois il n’y a plus de corps dans ma respiration j’ai l’air de quoi l’air à l’air à l’air à l’air de quoi j’ai l’air de quoi à l’air !
in Ouf, éd. maelström REEVOLUTION, 2015
Préparant les Poèmes en guise de compte à rebours avec quelque avance, j'avais inscrit à la lettre S : Salah Stétié. Or, ce mercredi, j'apprends son décès, la veille, à Versailles. Il était un ami, un voisin aussi, dans ce village du Tremblay-sur-Mauldre où il avait trouvé, il y a plus de 30 ans, un havre de paix après une vie consacrée à la diplomatie pour son pays qu'il chérissait tant, le Liban.
À bientôt
Jacques Fournier
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire