W pour WASSON Michael
Bonjour
En octobre 2019, j’ai eu le plaisir d’accueillir Béatrice Machet sur la 7e édition du festival Vo/Vf Traduire le Monde, à Gif-sur-Yvette. Elle venait présenter De l’autre côté du chagrin, anthologie de poétesses amérindiennes, éd. Wallada, 2018 (entretien à écouter sur www.festivalvo-vf.com /Accueil / Les Podcasts de la 7e édition / Poésie amérindienne). Peu après cette anthologie sortait Autoportrait aux siècles souillés, de Michael WASSON, éd. des lisières, que Béatrice Machet avait aussi traduit.
Michael Wasson est nimíipuu, c’est-à-dire Nez percé. Il a grandi sur une réserve, dans l’Idaho (États-Unis).
AUTOPORTRAIT SOUS FORME D’OS COLLECTÉS
(RÉJOUISSEZ-VOUS, RÉJOUISSEZ-VOUS !)
(après la mise en vente aux enchères des restes humains & des objets indigènes à Paris)
Car il y a une médaille d’honneur bien polie
qui brille suspendue dans ma poitrine telle un autre
cœur humain immobilisé : car mon corps
est étendu ici et vous attend dans des champs
brisés par des mains ayant la même forme que
des éclats d’obus : car j’apprends
à me lever de nouveau
uniquement pourvu d’os nettoyés : elles chantent réjouissez-vous
réjouissez-vous les cages thoraciques rendues paisibles de notre
bien-aimée nation : car le massacre consiste seulement
en une série de photographies décolorées, des archives
de neige & rien d‘autre : mère, dis-moi,
de quoi te souviens-tu de la main d’un autre homme
qui fouille de nuit dans ta gorge
tel un gant gelé : c’était chaud
comment ? Était-ce celui avec les mots d’un dieu
perlés au-dessus de ses lèvres comme gouttes de sueur ? Car
le blessé est quelqu’un de touché
& de pénétré par l’arme à laquelle nous donnons forme
dans nos empreintes digitales : peu importe combien détruits
ou doux : nous retournons au champ
enveloppés dans ce nom de
dieu : réjouissez-vous réjouissez-vous, disent les os
de la main qui réclament le poids de la mémoire :
car je suis une décennie : un siècle
de soif bouche ouverte
même quand la neige continue de tomber ̶
& tombe en la traversant :
In Autoportrait aux siècles souillés, éd. des lisières, 2018
Les poèmes de Michael Wasson sont ancrés dans un contexte culturel bien particulier au sein d’un cadre historique génocidaire et de colonisation sans précédent, dont l’ampleur dépasse tout ce qui a été perpétué dans le monde par la suite.
L’éclairante préface à Autoportrait aux siècles souillés, due à la poète et traductrice Béatrice Machet, permet d’aborder la situation passée et présente des peuples amérindiens mais aussi d’entrer dans la poésie de Michael Wasson.
Michael Wasson, en tant que Nez-percé, est un descendant des gens qui ont suivi Chef Joseph dans sa fuite vers le Canada* pour ne pas avoir à traiter avec les blancs, pour échapper au parcage sur une réserve. Chef Joseph avait fait la promesse à son père de ne jamais vendre la terre qui contenait les os de ses ancêtres, les os de ses parents. C’est un principe moral de fidélité, une responsabilité d’humain tels que les comprennent et les partagent les cultures indiennes d’Amérique du Nord. Le lien qui relie l’histoire d’un peuple à un territoire est manifesté par la présence des os, et l’ensemble os-territoire est synonyme de lieu d’origine tout en constituant une identité. Abandonner les os de ses ancêtres est la chose la plus douloureuse, la plus destructrice qui soit parmi toutes les épreuves traversées par les Indiens. Le sort (des os) est la métaphore du destin imposé par la société blanche aux premiers habitants du continent.
* en 1877
À bientôt
Jacques Fournier
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