Poème pour
tenir le coup. 2
(envoi de
Jacques Fournier)
NUAGES
La description des nuages
exige de faire diligence -
en une fraction de seconde
ils ne sont plus tels, ils sont autres.
Leur trait principal consiste
à ne jamais reproduire
ni formes, ni teintes, ni poses, ni dessins.
Jamais porteurs d'aucune mémoire,
légers, ils survolent la gravité des faits.
Témoins de quelque chose - vous voulez rire !
au moindre souffle, voilà qu'ils s'éparpillent.
En regard des nuages
la vie semble solide,
presque enracinée et quasi éternelle.
A côté des nuages
les pierres sont nos sœurs,
sur elles nous pouvons compter,
tandis qu'eux, mon Dieu, des cousins lointains et volages.
Que les gens soient, s'ils y tiennent,
et qu'ils meurent ensuite un à un,
les nuages n'en ont rien à faire
de ces affaires
extraordinaires.
Au-dessus de ta vie parfaite,
de la mienne, imparfaite pour l'instant, ils paradent, fastueux comme avant.
De périr avec nous ils ne sont point tenus.
Pour voguer, nul besoin d'être vu.
in Instant, 2002, repris dans De la Mort sans exagérer, Poèmes 1957-2009,
Gallimard NRF Poésie, traduction du polonais revue et corrigée par Piotr
Kaminski, 2018.
Wisława SZYMBORSKA, poète polonaise, née en 1923, décédée en 2012. Prix Nobel
de littérature 1996.
« Poésie affranchie de tout problème formel, aimablement ouverte vers son lecteur, elle lui révèle des abîmes métaphysiques souvent traités sur le mode de la plaisanterie apparente, du faux étonnement, où l'extrême sensibilité se pare de distanciation et d'ironie - parfois grinçante, jamais amère." ext. de la préface de Piotr Kaminski
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